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A
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Portrait

Le stil est un bipède au cou très long qui hante les autobus de la ligne S vers midi. Il affectionne particulièrement la plate-forme arrière où il se tient, morveux, le chef couvert d'une crête entourée d'une excroissance de l'épaisseur d'un doigt assez semblable à de la corde. D'humeur chagrine, il s'attaque volontiers à plus faible que lui, mais s'il se heurte à une riposte un peu vive il s'enfuit à l'intérieur du véhicule où il essaie de se faire oublier.

On le voit aussi, mais beaucoup plus rarement, aux alentours de la gare Saint-Lazare au moment de la mue. Il garde sa peau ancienne pour se protéger contre le froid de l'hiver, mais souvent déchirée pour permettre le passage du corps; cette sorte de pardessus doit se fermer assez haut grâce à des moyens artificiels. Le stil, incapable de les découvrir lui-même, va chercher alors l'aide d'un autre bipède d'une espèce voisine, qui lui fait faire des exercices.

La stilographie est un chapitre de la zoologie théorique et déductive que l'on peut cultiver en toute saison.

Géometrique

Dans un parallélépipède rectangle se déplaçant le long d'une ligne droite d'équation 84x + S = y, un homoïde A présentant une calotte sphérique entourée de deux sinusoides, au-dessus d'une partie cylindrique de longueur l›n, présente un point de contact avec un homoïde trivial B. Démontrer que ce point de contact est un point de rebroussement.

Si l'homoïde A rencontre un homoïde homologue C, alors le point de contact est un disque de rayon r‹l. Déterminer la hauteur h de ce point de contact par-rapport à l'axe vertical de l'homoïde A.

Paysan

J'avions pas de ptits bouts de papiers avec un numéro dssus, mais jsommes tout dmême monté dans steu carriole. Une fois que j'm'y trouvons sus steu plattforme de steu carriole qui z'appellent comm' ça eux zautres un autobus, jeum'sentons tout serré, tout gueurdi et tout racornissou. Enfin, après qu'j'euyons paillé, je j'tons un coup d'oeil tout alentour de nott peursonne et qu'est-ceu queu jeu voyons-ti pas? un grand flandrin avec un d'ces cous et un d'ces couv-la-tête pas ordinaires. Le cou, l'était trop long. L'chapiau, l'avait dla tresse autour, dame oui. Et pis, tout à coup, le voilà-ti pas qui s'met en colère? Il a dit des paroles de la plus grande méchanceté à un pauv' meussieu qu'en pouvait mais et pis après ça l'est allé s'asseoir le grand flandrin.

Bin, c'est des choses qu'arrivent comme ça que dans une grande ville. Vous vous figurerez-vous-ti pas qu' jl'avons dnouveau rvu, ce grand flandrin. Pas plus tard que deux heures après, dvant une grande bâtisse qui pouvait ben être queuqu'chose comme la palais dl'évêque de Pantruche, comme i disent eux zautres pour appeler leur ville par son petit nom. L'était là lgrand flandrin, qu'il sbaladait dlong en large avec un autt feignant dson espèce et qu'est-ce qu'i lui disait l'autt feignant dson espèce? Li disait, l'autt feignant dson espèce, l'i disait: «Tu dvrais tfaire mett sbouton-là un ti peu plus haut, ça srait ben pluss chouette.» Voilà cqu'i lui disait au grand flandrin, l'autt feignant dson espèce.

Interjections

Psst! heu! ah! oh! hum! ah! ouf! eh! tiens! oh! peuh! pouah! ouïe! ou! aïe! eh! hein! heu! pfuitt!

Tiens! eh! peuh! oh! heu! bon!

Précieux

C'était aux alentours d'un juillet de midi. Le soleil dans toute sa fleur régnait sur l'horizon aux multiples tétines. L'asphalte palpitait doucement, exhalant cette tendre odeur goudronneuse qui donne aux cancéreux des idées à la fois puériles et corrosives sur l'origine de leur mal. Un autobus à la livrée verte et blanche, blasonné d'un énigmatique S, vint recueillir du côté du parc Monceau un petit lot favorisé de candidats voyageurs aux moites confins de la dissolution sudoripare. Sur la plate-forme arrière de ce chef-d'oeuvre de l'industrie automobile française contemporaine, où se serraient les transbordés comme harengs en caque, un garnement approchant à petits pas de la trentaine et portant entre un cou d'une longueur quasi serpentine et un chapeau cerné d'un cordaginet une tête aussi fade que plombagineuse éleva la voix pour se plaindre avec une amertume non feinte et qui semblait émaner d'un verre de gentiane, ou de tout autre liquide aux propriétés voisines, d'un phénomène de heurt répété qui selon lui avait pour origine un co-usager présent hic et nunc de la STCRP. Il prit pour élever sa plainte le ton aigre d'un vieux vidame qui se fait pincer l'arrière-train dans une vespasienne et qui par extraordinaire n'approuve point cette politesse et ne mange pas de ce pain-là. Mais découvrant une place vide il s'y jeta.

Plus tard, comme le soleil avait déjà descendu de plusieurs degrés l'escalier monumental de sa parade céleste et comme de nouveau je me faisais véhiculer par un autre autobus de la même ligne, j'aperçus le personnage plus haut décrit qui se mouvait dans la cour de Rome de façon péripatétique en compagnie d'un individu ejusdem farinae qui lui donnait, sur cette place vouée à la circulation automobile, des conseils d'une élégance qui n'allait pas plus loin que le bouton.

Inattendu

Les copains étaient assis autour d'une table de café lorsque Albert les rejoignit. Il y avait là René, Robert, Adolphe, Georges, Théodore.

– Alors ça va? demande cordialement Robert.

– Ça va, dit Albert.

Il appela le garçon.

– Pour moi, ce sera un picon, dit-il.

Adolphe se tourna vers lui:

– Alors, Albert, quoi de neuf?

– Pas grand-chose.

– Il fait beau, dit Robert.

– Un peu froid, dit Adolphe.

– Tiens, j'ai vu quelque chose de drôle aujourd'hui, dit Albert.

– Il fait chaud tout de même, dit Robert.

– Quoi? demanda René.

– Dans l'autobus, en allant déjeuner, répondit Albert.

– Quel autobus?

– L's.

– Qu'est-ce que tu as vu? demanda Robert.

– J'en ai attendu trois au moins avant de pouvoir monter.

– à cette heure-là ça n'a rien d'étonnant, dit Adolphe.

– Alors qu'est-ce que tu as vu? demanda René.

– On était serrés, dit Albert.

– Belle occasion pour le pince-fesse.

– Peuh, dit Albert. Il ne s'agit pas de ça.

– Raconte alors.

– à côté de moi il y avait un drôle de type.

– Comment? demanda René.

– Grand, maigre, avec un drôle de cou.

– Comment? demanda René.

– Comme si on lui avait tiré dessus.

– Une élongation, dit Georges.

– Et son chapeau, j'y pense: un drôle de chapeau.

– Comment? demanda René.

– Pas de ruban, mais un galon tressé autour.

– Curieux, dit Robert.

– D'autre part, continua l'Albert, c'était un râleur ce type.

– Pourquoi ça? demanda René.

– Il s'est mis à engueuler son voisin.

– Pourquoi ça? demanda René.

– Il prétendait qu'il lui marchait sur les pieds.

– Exprès? demanda Robert.

– Exprès, dit Albert.

– Et après?

– Après? il est allé s'asseoir, tout simplement.

– C'est tout? demanda René.

– Non. Le plus curieux c'est que je l'ai revu deux heures plus tard.

– Où ça? demanda René.

– Devant la gare Saint-Lazare.

– Qu'est-ce qu'il fichait là?

– Je ne sais pas, dit Albert. Il se promenait de long en large avec un copain qui lui faisait remarquer que le bouton de son pardessus était placé un peu trop bas.

– C'est en effet le conseil que je lui donnais, dit Théodore.

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