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Insistance

Un jour, vers midi, je montai dans un autobus presque complet de la ligne s. Dans un autobus presque complet de la ligne S, il y avait un jeune homme assez ridicule. Je montais dans le même autobus que lui, et ce jeune homme, monté avant moi dans ce même autobus de la ligne S, presque complet, vers midi, portait sur la tête un chapeau que je trouvai bien ridicule, moi qui me trouvais dans le même autobus que lui, sur la ligne S, un jour, vers midi.

Ce chapeau était entouré d'une sorte de galon tressé comme celui d'une fourragère, et le jeune homme qui le portait, ce chapeau – et ce galon – se trouvait dans le même autobus que moi, un autobus presque complet parce qu'il était midi; et sous ce chapeau, dont le galon imitait une fourragère, s'allongeait un visage suivi d'un long cou, d'un long, long cou. Ah! qu'il était long le cou de ce jeune homme qui portait un chapeau entouré d'une fourragère, sur un autobus de la ligne S, un jour vers midi.

La bousculade était grande dans l'autobus qui nous transportait vers le terminus de la ligne S, un jour vers midi, moi et ce jeune homme qui plaçait un long cou sous un chapeau ridicule. Des heurts qui se produisaient résulta soudain une protestation, protestation qui émana de ce jeune homme qui avait un si long cou sur la plate-forme d'un autobus de la ligne S, un jour vers midi.

Il y eut une accusation formulée d'une voix mouillée de dignité blessée, parce que sur la plate-forme d'un autobus S, un jeune homme avait un chapeau muni d'une fourragère tout autour, et un long cou; il y eut aussi une place vide tout à coup dans cet autobus de la ligne S presque complet parce qu'il était midi, place qu'occupa bientôt le jeune homme au long cou et au chapeau ridicule, place qu'il convoitait parce qu'il ne voulait plus se faire bousculer sur cette plate-forme d'autobus, un jour, vers midi.

Deux heures plus tard, je le revis devant la gare Saint-Lazare, ce jeune homme que j'avais remarqué sur la plate-forme d'un autobus de la ligne S, ce jour même, vers midi. Il était avec un compagnon de son acabit qui lui donnait un conseil relatif à certain bouton de son pardessus. L'autre l'écoutait attentivement. L'autre, c'est ce jeune homme qui avait une fourragère autour de son chapeau, et que je vis sur la plate-forme d'un autobus de la ligne S, presque complet, un jour, vers midi.

Ignorance

Moi, je ne sais pas ce qu'on me veut. Oui, j'ai pris l'S vers midi. Il y avait du monde? Bien sür, à cette heure-là. Un jeune homme avec un chapeau mou? C'est bien possible. Moi, je n'examine pas les gens sous le nez. Je m'en fous. Une espèce de galon tressé? Autour du chapeau? Je veux bien que ça soit une curiosité, mais moi, ça ne me frappe pas autrement. Un galon tressé… Il s'aurait querellé avec un autre monsieur? C'est des choses qu'arrivent.

Et ensuite je l'aurais de nouveau revu une heure ou deux plus tard? Pourquoi pas? Il y a des choses encore plus curieuses dans la vie. Ainsi, je me souviens que mon père me racontait souvent que…

Passé indéfini

Je suis monté dans l'autobus de la porte Champerret. Il y avait beaucoup de monde, des jeunes, des vieux, des femmes, des militaires. J'ai payé ma place et puis j'ai regardé autour de moi. Ce n'était pas très intéressant. J'ai quand même fini par remarquer un jeune homme dont j'ai trouvé le cou trop long. J'ai examiné son chapeau et je me suis aperçu qu'au lieu d'un ruban il y avait un galon tressé. Chaque fois qu'un nouveau voyageur montait, ça faisait de la bousculade. Je n'ai rien dit, mais le jeune homme au long cou a tout de même interpellé son voisin. Je n'ai pas entendu ce qu'il lui a dit, mais ils se sont regardés d'un sale oeil. Alors, le jeune homme au long cou est allé s'asseoir précipitamment.

En revenant de la porte Champerret, je suis passé devant la gare Saint-Lazare. J'ai vu mon type qui discutait avec un copain. Celui-ci a désigné du doigt un bouton juste au-dessus de l'échancrure du pardessus. Puis l'autobus m'a emmené et je ne les ai plus vus. J'étais assis et je n'ai pensé à rien.

Présent

À midi, la chaleur s'étale autour des pieds des voyageurs d'autobus. Que, placée sur un long cou, une tête stupide ornée d'un chapeau grotesque vienne à s'enflammer, aussitôt pète la querelle. Pour foirer bien vite d'ailleurs, en une atmosphère lourde pour porter encore trop vivantes de bouche à oreille des injures définitives. Alors, on va s'asseoir à l'intérieur, au frais.

Plus tard peuvent se poser, devant des gares aux cours doubles, des questions vestimentaires, à propos de quelque bouton que des doigts gras de sueur tripotent avec assurance.

Passé simple

Ce fut midi. Les voyageurs montèrent dans l'autobus. On fut serré. Un jeune monsieur porta sur sa tête un chapeau entouré d'une tresse, non d'un ruban. Il eut un long cou. Il se plaignit auprès de son voisin des bousculades que celui-ci lui infligea. Dès qu'il aperçut une place libre, il se précipita vers elle et s'y assit.

Je l'aperçus plus tard devant la gare Saint-Lazare. Il se vêtit d'un pardessus et un camarade qui se trouva là lui fit cette remarque: il fallut mettre un bouton supplémentaire.

Imparfait

C'était midi. Les voyageurs montaient dans l'autobus. On était serré. Un jeune monsieur portait sur sa tête un chapeau qui était entouré d'une tresse et non d'un ruban. Il avait un long cou. Il se plaignait auprès de son voisin des bousculades que ce dernier lui infligeait. Dès qu'il apercevait une place libre, il se précipitait vers elle et s'y asseyait.

Je l'apercevais plus tard, devant la gare Saint-Lazare. Il se vêtait d'un pardessus et un camarade qui se trouvait là lui faisait cette remarque: il fallait mettre un bouton supplémentaire.

Alexandrins

Un jour dans l'autobus qui porte la lettre S

Je vis un foutriquet de je ne sais quelle es-

Pèce qui râlait bien qu'autour de son turban

Il y eüt de la tresse en place de ruban.

Il râlait ce jeune homme à l'allure insipide,

Au col démesuré, à l'haleine putride,

Parce qu'un citoyen qui paraissait majeur

Le heurtait, disait-il, si quelque voyageur

Se hissait haletant et poursuivi par l'heure

Espérant déjeuner en sa chaste demeure.

Il n'y eut point d'esclandre et le triste quidam

Courut vers une place et s'assit sottement.

Comme je retournais direction rive gauche

De nouveau j'aperçus ce personnage moche

Accompagné d'un zèbre, imbécile dandy,

Qui disait: "ce bouton faut pas le mettre icy."

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