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CHAPITRE XI

Jâ avançait péniblement. Sous ses pas, le sable avait fait place à une matière impalpable, une véritable cendre grisâtre, dans laquelle il enfonçait par instants jusqu'aux épaules. Il rebroussa chemin, cherchant un terrain plus ferme, zigzaguant dans le désert par les endroits où la cendre, arrivant à mi-jambe, permettait une marche plus aisée.

Fatigué, il s'astreignit à un court repos tous les cinq cents pas. Il se dirigeait par de longs détours vers la chaîne montagneuse qu'il apercevait à l'horizon. Petit à petit, après des chutes épuisantes dans les creux emplis de cendre, il la vit se rapprocher. Il décida de faire étape au pied des premières collines. Déjà, des masses rocheuses, de plus en plus nombreuses, dépassaient de la mer de poussière.

La sueur coulait, imbibant ses vêtements sous le scaphandre, et lui donnant la sensation désagréable d'être enveloppé de linges humides.

En contournant un roc, il glissa, tomba sur le dos, et resta un instant allongé, les tempes battantes et le souffle court. IL regarda le ciel et ce qu'il vit l'intrigua. Parmi les étoiles, l'une d'elles paraissait changer de place. Il la vit grandir à vue d'œil et reconnut une fusée brillante. L'appareil se dirigeait droit sur lui. Se relevant péniblement, Jâ se mit à faire de grands signes.

A cet instant, un roulement de tonnerre venu des profondeurs du sol fit vibrer son scaphandre. Le jeune homme vacilla sur la surface de la Lune qui ondulait comme une mer. Des nuages de cendres montaient autour de lui. Un grand rocher trembla sur sa base et s'abattit. La fusée passait la crête montagneuse, lorsque brusquement une colonne de feu monta dans l'espace et la culbuta au passage. Puis une autre masse de gaz enflammés jaillit d'un sommet, puis une autre encore. Toute la chaîne de volcans entra en éruption. D'énormes blocs de pierre commençaient à bombarder le sol autour de Jâ. Une nuit profonde voila la lumière du Soleil. Avant qu'elle fût totale, Jâ Benal eut le temps de voir une montagne s'ouvrir en deux et vomir un fleuve de laves rougeoyantes.

Courbé en deux sous une pluie de projectiles, il revint sur ses pas, s'éloignant le plus possible du cataclysme. Il ne vit pas arriver sur lui le torrent de laves qui l'emporta comme un fétu.

* * *

Mox se démenait devant un clavier compliqué de touches métalliques. Il appuya sur une touche.

– Hein? En éruption? La fusée perdue?…

Il tourna les yeux vers sa sphère, un point brillant scintillait devant la chaîne Pluton.

– Envoyez les fusées X 4 et X 5 par l'est. Il le faut vivant, vous entendez! Reliez-moi en direct aux fusées… Bon, j'attends… Oui? Continuez!

Une voix nasillait dans ses écouteurs.

– … Passons la vallée d'Enfer. Le mont Circé en vue. Plaine des Cendres en vue. Obscurité totale, impossible repérer à l'œil nu la chaîne Pluton. Descendons altitude cinq cents mètres, deux cents, cent. Impossible alunir pour l'instant, la lave inonde tout.

Mox donna un violent coup de poing sur le bord du clavier.

– Passez vos scaphandres et alunissez le plus près possible de… (il tourna la tête vers la sphère) de cent dix-neuf-dix.

Il écrasa une touche.

– Envoyez X 6 et X 7 en renfort par le sud, reliez-les moi en direct… Hé! Attention aux instructions spéciales, hein!

Il ronchonna tout seul.

– Cent dix-neuf-dix… Comme précision! Un carré de cinq kilomètres de côté.

Les écouteurs nasillèrent.

– Quoi? Cent dix-neuf-dix entièrement submergés! La lave est fluide? Pas trop! Eh bien, entrez-moi là-dedans et cherchez!

Son pied appuya sur un bouton sous la table.

– Venez prendre ma place, Step!

Un homme entra sans une parole et s'installa sur le siège que Mox laissait libre.

– Je prends X 8, j'y vais moi-même. Gardez le contact, dit Mox.

Il sortit de la pièce et monta dans une espèce de boîte cylindrique en matière transparente. Il était à peine installé que la boîte monta, libérée de toute pesanteur. Le plafond de la pièce s'ouvrit comme par magie et la boîte de verre bondit dans l'espace. Elle fila pendant deux minutes et redescendit sur un vaste toit plat. Le toit s'ouvrit à son approche et se referma derrière elle. Mox sauta du petit appareil. Un homme s'approcha.

– Parez-moi X 8, et que ça saute! dit Mox en marchant à longues enjambées devant l'homme qui courut vers un attirail de manettes et de boutons accroché comme une panoplie sur le mur. Le subalterne tira une manette marquée X 8. Une espèce de monte-charge déposa immédiatement devant Mox une fusée en forme d'œuf métallique très brillant, de trois mètres de haut. Mox entra par une petite porte et la fusée décolla immédiatement. Quelqu'un de non prévenu, qui aurait tourné la tête une seconde, n'aurait eu le temps de s'apercevoir ni du départ, ni de l'ouverture et de la fermeture presque simultanées du plafond, au passage de la fusée.

Celle-ci prit rapidement de l'altitude et fila vers le nord-ouest. Les commandes étaient aussi simples que le tableau de bord se montrait compliqué. A plat ventre sur les sangles magnétiques, Mox pilotait à l'aide d'une simple tige de métal reliée au plancher par une rotule. Mais, autour de cette attache, luisait un fouillis de cadrans de toutes grosseurs, que l'homme consultait de temps en temps d'un rapide coup d'œil. Bientôt l'appareil fut durement secoué. Mox tira la commande sur lui et se sentit monter à toute vitesse. Très loin, vers le bas, il distingua des lueurs rougeoyantes. Il franchissait la chaîne Pluton. Au bout de quelques secondes, il regarda un écran circulaire où deux points lumineux se rapprochaient. Quand les deux points se confondirent, il poussa le levier en avant et la fusée plongea vers la Lune.

Quand elle s'immobilisa, il lâcha les commandes et passa rapidement un scaphandre. Ce n'était qu'une simple combinaison lâche, l'enveloppant de la tête aux pieds. La trame de l'étoffe était constituée par un quadruple réseau de tubes capillaires très fins parcourus par la circulation rapide d'un liquide qui fournissait automatiquement le froid ou le chaud suivant la température extérieure. Devant son visage, l'étoffe était plus raide et absolument transparente. L'énergie nécessaire venait d'une simple boîte, grosse comme une pile de poche, attachée sur sa poitrine. Le vêtement, d'un fonctionnement quasi biologique dans sa complexité, lui laissait une entière liberté de mouvements. Mox se munit d'un objet ayant la forme et la taille d'une bouteille et sertit de l'appareil.

Son scaphandre gonfla autour de lui comme une outre sous l'effet du vide. Il enfonça jusqu'au genou dans la cendre grise. Il pointa vers le sol l'extrémité effilée (le goulot) de son bizarre engin et regarda l'écran placé à l'autre bout. Il se mit en marche. Deux points lumineux s'écartèrent sur l'écran. Il obliqua vers la droite, les deux points lumineux s'écartèrent un peu plus rapidement. Il alla vers la gauche, les deux pointa se rapprochèrent. Mox enjamba des rocs, glissa dans un trou, avança péniblement, presque entièrement plongé dans la cendre. Il dut porter son écran tout près de ses yeux pour le distinguer. Les deux points se rapprochaient toujours. Il sentit bientôt qu'il marchait dans une matière pâteuse qui retenait ses jambes à chaque pas, jeta un regard à ses pieds et se vit patauger dans la lave. Il y fut bientôt jusqu'à la taille et dut brasser largement devant lui pour avancer plus vite. Il traçait un large sillon rougeoyant dans la boue ardente. Sur l'écran, les deux points lumineux se touchèrent presque. Mox distingua des lumières et rencontra une dizaine d'hommes qui fouillaient la lave.

– Eh bien? demanda-t-il.

L'un des chercheurs lui dit quelque chose; on voyait ses lèvres bouger derrière la vitre.

Mais Mox n'entendait rien. Agacé, il porta la main à son oreille et comprit qu'il avait oublié son olive acoustique, dans sa hâte. Il désigna le sol. L'autre acquiesça de la tête et fit ensuite un geste d'impuissance. Mox se baissa et plongea les bras dans la lave, il tâta au fond et ne sentit que le plat du roc. Il interrogea l'homme du regard. Celui-ci lui fit comprendre par signes que la table rocheuse, d'une immense surface, n'offrait aucune solution de continuité.

Mox considéra pensivement son écran: il n'y vit plus qu'un seul point lumineux. «Et pourtant, il est là, se dit-il, juste en dessous. Et vivant! Puisque les bio-ondes continuent d'arriver.» Il fit un geste de lassitude et retourna vers sa fusée.

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