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CHAPITRE XXIX

Pendant ce temps, le plus grand désordre régnait dans la capitale. Les gardes n'étaient pas assez nombreux pour faire face à la foule déchaînée des réfugiés qui avaient réussi à forcer les portes de la cité. Une centaine de policiers se trouva coincée au fond d'une impasse, ils braquaient leurs armes sur l'émeute. Un civil hissé sur les épaules de ses compagnons, leur adressait la parole.

– Soyez raisonnables, disait-il. Vous voulez nous faire quitter Ptol. Où irons-nous? Dav n'existe plus. Là où était cette ville ne se dressent plus maintenant que des ruines. Le dôme a sauté. La vie est devenue impossible là-bas.

Il se tourna vers la foule.

– Citoyens, cria-t-il, il faut forcer le gouvernement à abdiquer. Allons tous au Palais.

Cette proposition fut accueillie avec un enthousiasme délirant. Le remous d'hommes et de femmes qui piétinaient autour de l'orateur se transforma en un courant humain qui déferla vers le quartier administratif. Les gardes, se voyant oubliés, respirèrent un peu. Leur chef parla dans son poste portatif.

Aux abords du Palais, la foule fut stoppée par un barrage de policiers. Elle tourna par une autre voie afin d'atteindre le Palais par une autre rue: nouveau barrage. Le siège du gouvernement était protégé par une ceinture de gardes armés jusqu'aux dents. La multitude fit une molle tentative d'assaut qui fut aisément repoussée. Des cadavres jonchaient les rues.

A ce moment, la voix de la Terre se fit entendre à nouveau.

«Lunaires, disait-elle, votre gouvernement abdiquera de toutes façons. Ne cherchez pas à obtenir sa chute par la violence. Ce n'est pas votre travail. Rentrez chez vous. Que chaque citoyen privilégié offre largement l'hospitalité aux réfugiés. N'ayez crainte. La Terre veille sur vous. La Terre va bientôt envoyer chez vous des troupes qui rétabliront l'ordre. Patientez quelques jours. La Terre ne vous veut pas de mal. La Terre vous offre la liberté.»

* * *

Après avoir parlé, Jâ regarda quelques minutes la foule qui se dispersait en hurlant des cris de triomphe. Figés dans leur attitude hostile, les gardes n'avaient pas bougé.

Jâ quitta son hublot et tourna vers Nira un sourire triste.

– S'ils savaient la vérité! dit-il.

– Que veux-tu dire?

– S'ils savaient que tout cela vient d'un seul homme, obligé de se cacher comme un bandit. Un seul homme qui se demande comment faire pour avertir la Terre de ce qui se passe; car la Terre ne sait rien. Quel malheur que tout contact radio soit impossible avec cette planète! La Terre attend que je revienne faire mon rapport. Il faut absolument trouver un moyen d'y retourner. Sais-tu où nous pourrions trouver un astronef?

– Tu les as tous détruits.

– Je n'ai détruit que les astronefs de combat.

Nira fronça les sourcils.

– Attends, dit-elle, il y a bien l'astro-gare du Palais. Mais elle doit être gardée, surtout en ce moment. Elle contient de petits appareils destinés à porter au plus trois personnes. Ils sont utilisés pour envoyer des espions sur la Terre. Tem m'en a parlé. Il avait été envoyé plusieurs fois en mission.

– Nous n'en demandons pas plus, dit Jâ. J'aime mieux un petit appareil, il sera moins facilement repérable. Il faut que tu me conduises à cette astro-gare.

– C'est bien risqué, Jâ.

– C'est notre seule chance, essayons toujours. Nous n'allons pas rester ici cent sept ans. Mais auparavant, je veux vérifier une dernière fois mon enregistrement.

Ils se dirigèrent vers la petite salle où Jâ avait monté un électronique caché derrière des rayonnages. Il avait eu la chance de découvrir des placards remplis de pièces détachées et de bobines vierges et s'était empressé d'enregistrer un texte qui répétait à voix indiscernable les litanies de paix attribuées à la Terre. Toutes les quatre heures, la voix s'enflait et disait

«Lunaires, patientez quelques jours, la Terre veille sur vous.»

Ainsi, Jâ était tranquille. Il pouvait s'absenter, retourner sur Terre même tout en sachant que sa propagande continuait sans lui.

Il vérifia le bon fonctionnement de l'appareil, le mit en marche et introduisit l'émetteur qu'il avait au poignet dans une logette faite pour lui en face de l'émetteur.

Ils revinrent dans la grande salle. Jâ s'arrêta un instant devant l'innombrable collection de bobines. De temps en temps, l'une d'elles roulait sur un rail, arrivait au puits magnétique et montait à l'étage supérieur. D'autres revenaient prendre leur place en sens inverse.

– Ils continuent à travailler, là-haut, dit Jâ. J'ai l'impression qu'ils seraient bien gênés si je bouleversais tout ça.

Une bobine passa à côté de lui. Il tendit la main pour la prendre. Nira l'en empêcha d'un geste.

– Tu es fou, dit-elle. Si ça ne tourne pas rond, ils vont venir ici pour voir ce qui se passe. Nous aurons du mal à en sortir. Et puis, veux-tu qu'ils trouvent ton électrophone?

– Tu as raison, dit Jâ.

Il laissa rouler la bobine. Celle-ci s'avança lentement vers le puits et monta aussitôt. Jâ la vit disparaître avec un sentiment de malaise. Puis il haussa les épaules, passa un désintégrateur dans sa ceinture, en prit un autre à la main et confia le troisième à Nira.

– Tout va peut-être rater, dit-il. Embrasse-moi, ma chérie.

Ils s'étreignirent avec fougue. Enfin, Jâ se dégagea. Il regarda Nira dans les yeux.

– J'ai eu un moment de cafard, dit-il. J'ai eu tort. Nous allons réussir, Nira. Montre-moi le chemin.

* * *

La bobine épargnée par Jâ arriva à l'étage supérieur. Un homme s'en empara, en vérifia le numéro et la porta dans un autre puits qui l'aspira encore plus haut. Elle parvint entre les mains d'un autre fonctionnaire qui la plaça sur un appareil. La bobine se dévida lentement en silence, envoyant son texte dans les bureaux de l'Excellence.

Le gros homme scrutait l'écran; les mots défilaient

«C.S.177, Jâ Benal, arrivant du 27.3.3692. Rescapé du 13.4.3692. Âge: cinquante-cinq ans. Né à Staleve…»

Une lueur mauvaise dans les yeux, l'Excellence attendait impatiemment la suite. Enfin, il lut le renseignement qu'il cherchait et inscrivit sur un papier: «bio-longueur: 87; type: A2». Il s'approcha du micro et dit: «ça va, merci». L'écran s'éteignit.

Il passa en trombe dans le bureau de son secrétaire, considéra méchamment le hamac vide et bougonna:

– Traître! obligé de tout faire moi-même.

Il s'approcha d'un plan de la ville accroché au mur, consulta son papier et pressa successivement les boutons marqués A2, puis les boutons rouges 8 et 7. Un point lumineux apparut au centre du plan.

L'Excellence eut un sursaut d'étonnement. Puis il se hâta vers un micro et hurla:

– Alerte générale! L'homme que nous cherchons est caché dans le Palais même. Prenez note. Bio-longueur 87, type A2. Répétez!

Il parut s'impatienter.

– Allô, vous m'entendez?

Il frappa le micro du poing.

– Allô, Mox! Eh bien, quoi, mon vieux?

Une voix nasilla

– Excusez-moi, Excellence. Je ne sais plus où donner de la tête, la moitié de mes hommes sont absents.

– Les traîtres! ragea le gros homme… Alerte générale, mon vieux. Jâ Benal est au Palais. Bio-ondes: 87, A2. Trouvez-le en vitesse, et surtout prenez-le vivant; l'Ancêtre le veut vivant. Armez-vous seulement d'immobilisateurs pour éviter tout accident.

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