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CHAPITRE XIX

Jâ suivit les flèches indiquant la sortie et pénétra dans une pièce circulaire. Deux hommes s'approchèrent de lui. Ils portaient à la ceinture une espèce de tringle de métal brillant terminée par une petite boule, rappelant dans l'ensemble un fleuret. Il apprit plus tard qu'il suffisait de braquer l'arme sur quelqu'un pour l'immobiliser.

– Votre laissez-passer, citoyen!

Jâ le leur donna..

– Vous pouvez sortir! Ce citoyen vous conduira.

Jâ se retourna et aperçut un autre homme qu'il n'avait pas encore remarqué. Celui-ci s'approcha.

– Vous êtes bien Jâ Benal?

Jâ inclina la tête. L'homme lui tendit la main.

– Las Tem! Je suis chargé de faciliter vos premiers contacts avec notre civilisation. Voulez-vous me suivre?

Ils sortirent dans une allée bordée d'arbres.

– Ma parole, dit Jâ, ce sont des tilleuls!

– Nous avons beaucoup d'arbres dans la cité, sourit Tem.

Jâ regarda le ciel. D'énormes étoiles brillaient dans le ciel noir autour de la Terre énorme, jetant sur le sol les ombres nettes des tilleuls.

– Mais nous sommes dans le vide! dit-il.

– Vous n'y êtes pas. La cité est bâtie dans un immense cirque naturel fermé en haut par un dôme transparent de trois kilomètres de rayon. Ce dôme est soutenu au milieu par cette grande colonne que vous distinguez là-bas. Ici, nous pourrions vivre sans maillot, nous sommes dans l'air.

– J'ai tout à apprendre.

– En effet… Dites-moi, j'ai beaucoup intrigué pour arriver à me faire désigner comme votre guide. J'ai toujours eu envie de connaître un Terrien de mon âge. Les vieux ne parlent pas de leur passé. Si vous me parliez de la Terre.

– Vous êtes né ici?

– Oui.

– Je ne sais que vous dire sur la Terre, mon vieux. Je suis encore tout étourdi par mes aventures et par tout ce que je vois autour de moi.

– Bien sûr, pas aujourd'hui! Je voulais simplement vous demander si ça ne vous ennuierait pas trop de me revoir de temps en temps pour me parler de là-bas, quand vous serez un peu moins secoué.

– Tant que vous voudrez.

– Merci. Et maintenant, posez-moi les questions que vous voudrez sur la Lune.

– J'en ai tellement en tête que je ne sais pas où commencer. D'abord! où allons-nous?

– Chez vous. La demeure qui vous a été assignée est voisine de la mienne.

– C'est encore loin?

– Nous sommes presque sortis du quartier administratif, ce ne sera plus long.

Ils prirent une rue animée. Des hommes, des femmes allaient et venaient d'un pas pressé entre deux falaises d'immeubles percés de milliers de hublots, étageant leurs dômes transparents et leurs terrasses à des hauteurs variées. Aucun véhicule n'était visible. Des marronniers d'une taille surprenante poussaient au milieu de la rue. Par instants, on voyait planer au-dessus des maisons de bizarres boites de verre. Tem remarqua l'étonnement de Jâ.

– Vous en aurez une, dit-il.

– Une quoi?

Tem pointa son doigt vers le ciel, désignant un appareil.

– Une antigé.

– Vous volez partout avec ça, même dans le vide?

– En principe oui, mais il est défendu de s'en servir hors de la cité, elles sont trop fragiles pour résister au choc des météorites. Pour sortir, nous en avons de plus solides, comme celles qui sont allées vous repêcher dans la chaîne de Pluton.

Tout à coup une cloche sonna. Tem arrêta son compagnon.

– L'heure des imprécations! dit-il. Faites comme moi.

Il regarda en l'air. Tout le monde s'immobilisait dans la rue et levait les yeux vers la Terre. Un murmure passionné monta de la foule:

«Terre, qui nous es refusée!

Nous avons faim de toi comme du fruit pendu à la branche,

(Ils deviennent tous cinglés! pensa Jâ).

Terre, le jour est proche où nous te reprendrons,

Nous puiserons dans tes délices avec d'autant plus de frénésie que nous aurons longtemps attendu.

Jâ regarda Tem du coin de l'œil. Celui-ci débitait son texte avec indifférence.

Terriens, qui nous avez chassés!

Parce que vous étiez le nombre et la bêtise et que vous nommiez cela: justice,

Terriens, nous reviendrons bientôt vous dominer, vous mépriser, vous asservir,

Et notre vengeance aura d'autant plus de force que nous l'aurons longtemps attendue!»

«La vengeance est un plat qui se mange froid, conclut Jâ en lui-même. Eh bien, ils sont plutôt montés contre nous!»

La foule avait reprit son va-et-vient. Tem entraîna Benal.

– Comment trouvez-vous ça? demanda-t-il.

– C'est un poème exaltant, dit Jâ.

Tem le regarda d'un air méfiant et sourit.

– Vous n'êtes pas sincère.

– Mais si, protesta Benal.

– Non. Avouez que vous ne ressentez pas tellement de haine pour ces Terriens que vous venez de quitter, malgré ce qu'on vous a fait.

– Comment? Mais…

Tem le prit amicalement par le bras.

– Écoutez, je sens que je peux vous faire confiance. Vous les avez tous vus, tout à l'heure, déclamer leur «Terre qui nous est refusée… etc.». Eh bien, je vais vous dire le fond de ma pensée; la moitié d'entre eux, dont je suis, se fichent éperdument de toute cette mise en scène. Ils sont nés sur la Lune et s'y trouvent parfaitement bien. Un quart sont sincères, parce que plus hystériques que les autres et plus perméables à la propagande officielle; des névrosés, quoi! Le dernier quart est constitué par de vrais exilés, comme vous. Il faut avouer que la plupart de ceux-là sont du gibier de potence. Des déchets dont la Terre a eu raison de se débarrasser. Des gens sur qui l'on ne peut compter.

Jâ le regarda en souriant. Tem cligna de l'œil et poursuivit

– Votre attitude me prouve que je vous ai bien jugé. La plupart m'auraient sauté dessus pour ce que je viens de dire. Vous n'êtes pas comme eux. Vous être trop conscient de votre supériorité pour vous vexer…

– Continuez! dit Jâ.

– Je veux dire: on sent que vous avez été envoyé ici par accident, fatalité ou erreur judiciaire. Vous êtes normal! Vous ne tomberez jamais dans cette hystérie collective, dans cette frénésie de revanche. Quant à moi, quoique petit-fils d'exilé, je n'en veux absolument pas à la Terre. Je suis curieux d'elle, j'ai envie d'y aller, mais en touriste, non en conquérant.

– D'après tout ce que j'ai pu voir depuis mon arrivée, dit Benal, vous vivez ici sous un régime policier. Et je crois que vous parlez trop, mon vieux. Et si j'étais un agent provocateur?

Tem le regarda dans les yeux.

– Non! dit-il. Mais vous avez un peu raison. Assez pour ce soir! Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet. Ce ne sont pas des conversation à tenir en pleine rue.

Tem entraîna son compagnon vers la gauche et ils montèrent une rampe menant à l'intérieur d'un immeuble. Ils entrèrent. Le hall circulaire était dallé de basalte. Le plafond se perdait dans les hauteurs. En levant la tête, Jâ eut l'impression d'être au fond d'un puits. Son guide l'entraîna au milieu de la pièce sur une plaque métallique. Il parla

– Vingt-quatre! dit-il.

Jâ surpris, se sentit monter dans le puits en compagnie de Tem. Supposant que la plaque métallique les soulevait il regarda en bas, et vit que ses pieds ne reposaient sur rien. Il s'envolait littéralement.

– Polyaimant! expliqua brièvement Tem.

– Application ingénieuse! apprécia Benal.

Ils stoppèrent devant une ouverture et enfilèrent un corridor au fond duquel deux portes se faisaient face.

– Vous habitez à gauche. Moi, en face, dit Tem. Entrons chez vous.

Ils se placèrent devant la porte et entendirent un son perlé de l'autre côté. Une voix douce dit: «Entrez!» Ils avancèrent, tandis que la cloison se dématérialisait à leur passage. Une magnifique jeune femme blonde leur sourit timidement.

– C'est Nira Slid (A.E.712), dit Tem à Benal. Elle vous plaît?

– Je… Oui, elle est très belle.

– Voici ton maître, dit Tem à la femme; c'est un arrivant, occupe-toi de lui.

Il se tourna vers Jâ.

– Si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas: j'habite à côté. Je vous laisse.

Sur le point de sortir, il se retourna.

– Si par hasard elle ne vous satisfaisait pas, dites-le moi; je vous en trouverais une autre.

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