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«Vous avez obéi à une de ces impulsions fiévreuses qui vous grisent, qui vous exaltent, qui vous aveuglent. Mais maintenant que vous êtes en présence de la réalité et que vous saisissez tout ce qu’il y a d’injuste dans votre haine, vous ne pouvez pas ne point vous dire: «En voilà assez… Je n’irai pas plus loin… Je ne briserai pas ce mari parce que sa femme s’est refusée à moi… Je ne ruinerai pas ces enfants parce que j’ai insulté leur mère…»

– Comtesse, vous êtes corse, reprit Favraut, qui avait écouté Mme de Trémeuse avec une impassibilité beaucoup plus factice que réelle.

– Oui, je suis corse.

– Vous me permettrez donc de vous dire que je suis très surpris de vous entendre me parler ainsi. Je me figurais que vous compreniez mieux la vengeance.

– Monsieur Favraut!

Alors… éclatant tout à coup…, le misérable s’écria:

– Eh bien, oui… votre mari est perdu… vos enfants sont ruinés!… Vous avez deviné juste… c’est moi qui ai tout fait.

– Et vous ne regrettez rien?

– Rien!

Très pâle, Mme de Trémeuse s’était levée.

Alors… s’avançant vers elle… le banquier scanda tout frémissant de désir et furieux:

– Vous m’avez trop fait souffrir!… On ne méprise pas impunément un homme tel que moi… Vous ne me connaissiez pas… Vous ne vous doutiez pas jusqu’où pouvait aller mon orgueil blessé… Vous le voyez maintenant… Et ce n’est pas fini. Car la morale… je m’en moque… l’honneur… je ne connais pas… Je n’ai eu qu’un guide, mes instincts… mes appétits… si vous le voulez… Mon seul principe, c’est ma volonté… quand on la heurte, je me révolte… et je renverse tout… Voilà!

– Vous êtes un monstre!

– Si c’est ainsi que l’on appelle un être qui veut tirer de la vie tout ce qu’elle peut donner, eh bien, oui, je suis un monstre!

– Et pour nous sauver, s’écria Julia Orsini, il faudrait que je me déshonore!

– Pourquoi êtes-vous ici?

– Vous n’avez donc pas compris?…

– Que vous vouliez sauver votre mari.

– En vous faisant honte à vous-même.

– Et c’est ainsi que vous croyiez me désarmer?

– Oui, car je vous croyais un restant de cœur.

– Je n’en ai jamais eu.

– Vous êtes implacable.

– Comme vous l’avez été vous-même.

À ces mots, Mme de Trémeuse, malgré sa prodigieuse énergie, ne put retenir un sanglot.

Alors, d’une voix rauque… Favraut, qui était tout près d’elle… lui dit:

– Vous l’aimez donc bien cet homme?…

– Oui… je l’aime!

– Et vos enfants?…

– Je les adore!…

– Eh bien?…

Brutalement… cyniquement, le banquier voulut s’emparer des mains de la comtesse, tandis que des paroles abominables montaient à ses lèvres, amorce du plus honteux des marchés.

Mais Favraut ne continua pas.

Mme de Trémeuse s’était dégagée de son odieuse étreinte… et comme le marchand d’or voulait la ressaisir, la grande dame, en un sursaut d’indignation superbe, le frappa au visage.

Alors, au paroxysme de la rage, le banquier bondit sur elle… les mains en avant, comme pour l’étrangler.

Puis… soit qu’il se fût ressaisi à temps, soit qu’il eût été tout à coup intimidé malgré lui par le regard de mépris foudroyant que lui lança la fille des Orsini, le banquier grinça:

– Sortez… allez-vous-en… je ne veux plus vous voir… je vous hais, je vous exècre… je vous maudis!

Et, ouvrant lui-même la porte de son bureau, il attendit que la comtesse, toujours fière et refoulant noblement ses larmes… quittât cette pièce où venaient de se jouer, dans le plus tragique des conflits, l’honneur d’une femme et celui d’une famille… Et quand elle passa devant lui… il osa murmurer, lâcheté suprême:

– À bientôt… madame la comtesse!

Mme de Trémeuse ne trembla pas sous la menace. Elle s’en fut fière et digne.

Comme elle disparaissait dans l’antichambre… le marchand d’or eut un ricanement de hyène…

S’il avait aperçu le regard terrible de la comtesse, peut-être eût-il hésité à continuer, à achever son œuvre infernale; car les yeux de Julia Orsini ne pleuraient pas.

Fixes, brillants, terribles, ils reflétaient tout ce que peut contenir de haine un cœur humain…

Mais, tout à sa fureur, Favraut revint à son bureau… Et, s’emparant de son téléphone, il se mit à hurler dans l’appareil, en ponctuant chaque phrase de violents coups de poing sur le bureau:

– Allô… allô… Meyer… C’est vous!… Eh bien, lâchez sur le marché tout le paquet Trémeuse… Lâchez tout, tout, tout!

III LA VEUVE

Le jour même, l’effondrement en Bourse de M. de Trémeuse était un fait accompli…

Après la débâcle, le comte était rentré chez lui…

Sa femme, qui l’attendait, lui ouvrit tout grands ses bras… car elle avait lu sur son visage l’atroce réalité.

– Courage…, fit-elle avec une sublime simplicité… Nous travaillerons et nous lutterons ensemble pour élever nos deux fils et en faire des hommes dignes du nom qu’ils portent.

– Merci…, répondit M. de Trémeuse en serrant tendrement la comtesse contre lui.

Puis, tout en s’efforçant d’être calme, il reprit:

– Pardonnez-moi, Julia, de vous entraîner dans mon propre malheur.

– Ne parlez pas ainsi.

– Il ne nous reste plus rien… jusqu’à cette maison qui va être vendue.

– Qu’importe! Ne serons-nous pas toujours ensemble?

Mais, d’une voix sourde, M. de Trémeuse poursuivait:

– Oui, ensemble… à porter le poids de la honte.

– De la honte?

– Ma pauvre amie… vous ne connaissez pas l’opinion publique. Non seulement on ne me pardonnera pas d’avoir succombé, mais les nombreux et modestes actionnaires de mes sociétés minières resteront à jamais convaincus que je suis un malhonnête homme.

– Non, non, ce n’est pas possible, protestait violemment Mme de Trémeuse. Vous, l’être le plus loyal qui soit au monde! Vous, la victime d’une machination infâme!…

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