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– C’est une femme… et une bien jolie femme, murmura le galant Cocantin qui ne pouvait plus détacher ses yeux des verres de sa lorgnette.

Mais bientôt, voilà que ses immenses narines se mettent à battre comme les ailes d’un cormoran effaré.

C’est que la nageuse se rapproche de la terre… Prosper distingue nettement son joli visage surmonté d’un élégant bonnet qui ne parvient pas à emprisonner entièrement une abondante chevelure d’un blond ardent qui rappelle les rayons du soleil momentanément absent. La jeune femme se rapproche toujours… Elle a pris pied… Elle se redresse au milieu des flots… laissant apercevoir un corps… superbe, impeccablement moulé dans un maillot de soie noire.

Cocantin n’y tient plus.

Vite, il remet sa jumelle dans sa poche… s’empare du peignoir, revient au-devant de la ravissante ondine… qui s’avance en souriant vers lui.

Le plus éloquent… le plus fleuri… le plus galant des madrigaux… chante déjà dans le cœur de l’inflammable détective.

Mais… il s’arrête comme pétrifié… tandis que ces phrases aussi brèves que significatives se croisent… en un choc cordial fait à la fois de franche gaieté et d’agréable surprise:

– C’est vous!

– C’est moi!

– C’est lui!

– C’est elle!

Le directeur de l’Agence Céléritas vient, en effet, de reconnaître dans l’intrépide jeune femme Miss Daisy Torp, une nageuse américaine du Nouveau-Cirque, dont il avait été jadis fort épris, et qu’après un flirt, des plus poussés, il avait subitement perdue de vue.

– Ah! ça, mon cher Prosper, questionnait Miss Daisy… qu’est-ce que vous faites ici?

– Eh bien, et vous? répliquait Cocantin, charmé autant qu’ébloui.

– Donnez-moi donc mon peignoir! réclama la nageuse… car il ne fait vraiment pas chaud.

– Le fait est qu’il faut un courage…

– Ah! ce bon Cocantin!

– Ah! cette adorable Daisy!

– Si je m’attendais!

– Et moi donc!

Comme Miss Daisy Torp, d’un pas léger, s’apprêtait à regagner le pseudo-temple gallo-romain où elle s’était déshabillée, Cocantin, ravi d’avoir retrouvé la jolie créature qui avait, pendant plusieurs semaines, occupé ses journées et troublé ses nuits, s’écria avec un accent passionné:

– Chère Daisy, puisque le hasard nous a remis en face l’un de l’autre, j’espère bien que nous n’allons pas en rester là.

– Certainement, admettait la jolie créature, qui avait toujours beaucoup apprécié l’heureux caractère et le parfait bon-garçonnisme de son ex-adorateur.

– Où êtes-vous descendue? demandait celui-ci.

– Au Grand-Hôtel, à Sainte-Maxime.

– Alors nous sommes voisins… Comment se fait-il que nous ne nous soyons pas rencontrés plus tôt?

– Je suis arrivée seulement d’hier soir.

– C’est donc cela!… Ah! quel bonheur de vous avoir retrouvée!… Quels bons moments nous allons passer ensemble!

Tout en accompagnant Miss Daisy, qui regagnait sa cabine, Cocantin, fiévreusement, questionnait:

– Quand nous voyons-nous… chère, belle et douce amie?

– Je vais tantôt en excursion jusqu’à Saint-Tropez… déclarait la nageuse… et je dîne avec des amis… tout près d’ici, à la villa La Gabelle un coin délicieux que je vous ferai connaître…

– Que vous êtes bonne!

– Alors, demain?

– Pourquoi pas ce soir?

– C’est que je rentrerai sans doute assez tard à Sainte-Maxime.

– Cela n’a pas d’importance… Daisy… Sachez qu’à toute heure votre Cocantin est toujours vôtre.

– Eh bien, voulez-vous ce soir?

– Si je le veux!

– À dix heures?

– À dix heures.

– Sur la jetée du port?

– Sur la jetée du port.

– Entendu.

– Vous êtes divine!

– Laissez-moi, car je grelotte.

– À ce soir.

– À ce soir.

Avant de disparaître dans le temple gallo-romain, Miss Daisy Torp… se dressant sur la pointe des pieds… et laissant tomber son peignoir, lança à Cocantin qui demeurait devant elle comme en extase, un gracieux baiser plein de promesses.

Puis elle disparut, tandis que le directeur de l’Agence Céléritas, les yeux écarquillés, murmurait:

– J’ai bien fait de venir à Sainte-Maxime!

III LA VÉRITÉ

Dès qu’il avait eu connaissance de la lettre adressée par Favraut à sa fille, Jacques de Trémeuse s’était dit:

– Ce n’est point sous les traits de Vallières que j’irai à ce rendez-vous.

«C’est Judex qui s’y trouvera à l’heure dite.

Et, après s’être enfermé dans sa chambre, à l’abri de toute indiscrétion et de toute surprise, il s’était débarrassé de la barbe… de la perruque… et du costume qui le rendaient méconnaissable.

Puis, se coiffant de son chapeau de feutre et s’enveloppant de sa cape, il était sorti sur la terrasse qui flanquait la façade du premier étage et dont toutes les persiennes étaient hermétiquement closes… Après avoir écouté si aucun bruit ne s’élevait de la chambre de Jacqueline, il était descendu au rez-de-chaussée par un escalier dérobé, où, à cette heure, il ne risquait de rencontrer personne… et, gagnant le dehors, il traversa le parc, sous le rayonnement argentin de la lune, et franchit la grille… qui donnait sur le chemin conduisant au port de Sainte-Maxime.

Or… la fille du banquier ne dormait pas…

Accoudée à sa fenêtre, elle songeait à tous les événements qui avaient bouleversé sa vie… Et, tout en récapitulant ses souffrances, elle se demandait si, un jour, tant de douleur n’aurait pas un terme… et si elle ne connaîtrait pas, à son tour, la douceur d’une existence sans inquiétude et sans amertume.

Au milieu de cette évocation tragique de toutes ses infortunes, une question, sans cesse, lui revenait à l’esprit:

– Que va-t-il résulter de l’entrevue de Vallières avec mon père? Si, comme ce bon ami semble le redouter; il y a là-dessous quelque guet-apens organisé contre moi, qui sait si lui-même n’en sera pas victime? D’autant plus que lui-même connaît beaucoup de choses… trop de choses même.

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