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— Bien. Dès demain, les oms seront dans l’impossibilité de sortir de leur cité!

— Il leur restera la mer, plaisanta quelqu’un.

Tout le monde sourit.

— Pour plaire au Maître Sinh, continua l’Édile d’A sud, je vous propose d’envoyer au port une escouade de militaires cuirassés. Ils auront l’ordre de tout balayer aux rayons durs si les oms leur font mauvais accueil. Nous pourrons alors visiter la cité morte pour, comme dit le Maître Sinh, apaiser notre conscience en constatant que nous avons bel et bien pourfendu une ombre.

Tout le monde applaudit en riant. L’orateur fit signe qu’il avait quelque chose à ajouter.

— Toutefois, prenons certains de ses avertissements en considération. J’ai personnellement ordonné sur mon continent une désomisation bimensuelle et une stérilisation des oms les plus intelligents. Je ne saurais trop vous conseiller d’adopter les mêmes mesures sur vos territoires respectifs.

L’Édile de B nord parla:

— J’appuie, dit-il simplement.

Les deux autres édiles répétèrent en chœur:

— J’appuie!

Ils pressèrent tour à tour un bouton qui apposait automatiquement leur sceau sur le décret enregistré à l’étage au-dessous par le télé-enregistreur des débats.

L’Édile de B sud leva la main:

— Je propose de suspendre la séance pour une demi-heure. À la reprise, nous entendrons l’intéressant rapport des ingénieurs de mon continent sur le rendement des usines d’alimentation.

Les autres n’y virent aucun inconvénient. Car le Conseil n’avait à régler que de minuscules problèmes. Les choses fonctionnaient depuis si longtemps à la perfection sur Ygam, la grande machine administrative y tournait sans à-coups depuis tant de lustres, qu’il n’y avait pratiquement rien à faire que la laisser tourner.

Tout le monde alla s’ébattre un moment dans la piscine du Palais, ravi d’avoir assisté à une séance qui changeait un peu de la monotonie coutumière.

Quelques jours plus tard, trois sphères de l’armée déposèrent une vingtaine de draags cuirassés aux abords du vieux port. À l’abri dans leurs scaphandres, les soldats avancèrent au milieu des ruines, sans subir la moindre attaque. Ils renversèrent quelques murs, fouillèrent les égouts, prirent des fiximages de quelques installations bizarres et, par acquit de conscience, passèrent soigneusement la ville aux rayons durs.

Ils n’avaient pas rencontré un seul om.

Quand les images rapportées par la petite expédition parvinrent à l’Édile de Klud, celui-ci gloussa de satisfaction et demanda le Maître Sinh par téléboîte intercontinentale.

— Savez-vous, lui dit-il, ce qu’étaient vos trois navires construits par les oms?… Trois grossières représentations de poissons… Comment? Mais si, Maître Sinh, j’ai les fiximages sous les yeux. Ce sont des tôles découpées en forme de poissons; ils ont même gravé des yeux et des écailles!.. Hein?… Non, vous pensiez que ces oms étaient de grands marins, ce n’étaient que de petits pêcheurs. Voilà la raison de leur installation au bord de la mer. Quant à ces poissons de métal, il s’agit sans doute d’un culte grossier… oui… Ils en sont là, en effet! Je dirais même qu’ils n’en sont «que» là! Tranquillisez-vous, il n’en reste plus un. À vrai dire, les soldats n’en ont pas rencontré, mais ils ont tout passé aux rayons durs. Les oms avaient dû s’enfouir prudemment dans leurs souterrains les plus profonds. Ils ne remonteront jamais. Leurs cadavres brûlés sont certainement méconnaissables à l’heure où je vous parle.

L’Édile pensait rassurer le savant par cette nouvelle, mais ses espoirs furent déçus et la contrariété voila ses yeux rouges tandis qu’il sentait son tympan vibrer presque douloureusement aux récriminations amères et aux véhémences oratoires du Maître Sinh. Il eut du mal à placer un mot:

— Mais… mais je… mais oui, naturellement, je vous dis que tout à été brûlé! Écoutez…

À la fin, il se rappela qu’il était Premier Édile et en eut assez des façons de son interlocuteur. Il décida de parler en Édile:

— Assez, Maître Sinh! Si vous continuez sur ce ton, vous injuriez à travers moi tout le Grand Conseil. Ce serait montrer bien peu de reconnaissance à un gouvernement qui a l’intention d’agrandir le musée!

Cette menace voilée parut envenimer les choses et l’Édile dut hausser encore le ton.

— Non, non et non, Maître Sinh! Je ne veux… Voulez-vous me laisser parler, s’il vous plaît, je suis votre Édile! Et malgré notre différence d’âge, j’ai l’intention de me faire respecter. Vous ignorez une chose, Sinh, c’est que sans moi et mon collègue d’A nord, les deux autres Édiles n’auraient même pas accepté de discuter la question! Vous… comment?… C’est possible, mon cher, mais dites-vous bien que lorsque cette histoire de poisson de métal va se répandre dans les sphères officielles, un rire énorme va balayer toute mesure superfétatoire contre les oms. Le Conseil vous a accordé deux désomisations par mois et la destruction du port. Ne lui demandez pas d’autres excentricités. Je regrette de vous parler sur ce ton, mais vous m’y avez obligé. Bonheur sur vous.

L’Édile coupa d’un geste sec et souffla de colère. Le Maître Sinh n’était vraiment pas raisonnable. Certes, la question des oms errants s’était posée, elle avait eu son heure d’actualité. Tout cela était juste. D’accord. Mais les mesures demandées par Sinh frisaient la démence sénile. Pourquoi pas une mobilisation générale?

Et puis… l’Édile avait chez lui deux oms de race noire, deux animaux magnifiques et débordant d’affection pour leur maître. Il n’arrivait pas à imaginer que les congénères de ses bêtes familières pussent présenter un grand danger pour les draags.

2

Les draags avaient agi très vite, compte tenu des lenteurs nécessaires à leurs décisions administratives.

Entre le moment où ils avaient fiximagé les ruines du port et l’anéantissement de la cité, il s’était à peine écoulé quinze jours.

Cependant, ces quinze jours équivalant pour les oms à près de deux ans terrestres, ceux-ci avaient abattu un travail considérable. Outre la traversée de l’océan, ils avaient eu le temps de percer et d’aménager sous les rives du lac un port caché pour l’un des navires, de démonter l’autre entièrement pour faire de ses débris trois centaines de lourds véhicules aptes à la progression en brousse.

Au fur et à mesure de leur construction, ces véhicules étaient envoyés en reconnaissance vers les Hauts Plateaux, lieu choisi pour l’installation définitive. Si bien qu’une navette de véritables chars blindés circulait constamment entre le camp de débarquement et les hauteurs, hissant peu à peu tout le matériel, les ouvriers et les techniciens nécessaires à l’édification d’une cité.

Terr lui-même fit plusieurs fois le voyage pour surveiller les travaux.

Enfin, par dizaines de mille, de longues files d’oms, flanquées par la protection des chars, montèrent lentement par les jungles.

Les bébés, les jeunes mères et les enfants en bas âge, quoique vaccinés contre toutes les maladies tropicales possibles, ne touchaient pratiquement pas le sol avant d’arriver au but. À la base de débarquement, Terr les avait consignés dans le navire intact. Pendant le voyage, ils restaient dans les chars. On évitait ainsi tout accident, car le pays était bourré de fauves, ou même d’animaux placides, mais dangereux par leurs proportions gigantesques.

Enfin, à peu près à l’époque où le draag Édile d’A sud rivait son clou au Maître Sinh, la dernière cohorte d’émigrants se prépara au départ.

Terr avait tenu à en être. Sauf deux ou trois voyages d’inspection, il était resté le plus longtemps possible sur les bords du lac pour rassurer par sa présence les derniers rangs. Les autres, en effet, avaient moins besoin de lui. Ils vivaient dans un climat plus sain, moins débilitant. Mais ceux que le sort avait momentanément oubliés montraient souvent des signes de nervosité. Le prestige et l’autorité de l’Édile leur était nécessaire.

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