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— Pourquoi n’allume-t-on pas? osa demander quelqu’un.

Un guide répondit:

— Nous avons ordre d’économiser toutes les sources de lumière tant que le plan d’électrification ne sera pas accompli. Ne vous inquiétez pas et marchez les uns derrière les autres en vous tenant par la main. La route est sûre ici. Plus loin, on distribuera des flambeaux.

Des protestations étouffées jaillirent çà et là.

— Par la main! Comme si c’était commode!

— J’ai besoin de mes deux mains pour tenir ma charge!

La voix du guide reprit:

— Dans peu de temps, vous pourrez déposer vos charges. Patientez un peu.

Ils allaient dans la nuit. Leur instinct leur disait qu’ils franchissaient des abîmes sur des ponts naturels. Par moment, une acoustique compliquée leur envoyait un tumulte de cascade ou bien le sucement avide d’une galerie aspirant des eaux courantes.

Plus loin, ils se sentaient traverser des salles immenses où des gouttes jouaient un petit air rythmé, toujours recommencé, en tombant de très haut sur des pierres plates ou dans des vasques de formes différentes…

Enfin, ils virent des lumières. Des flammes se tordaient ici et là, répandant une odeur de résine, éclairant des circonvolutions rocheuses et des failles tourmentées.

Ils tombèrent sur un petit groupe d’oms empilant des paquets les uns sur les autres dans une anfractuosité.

— Posez vos charges! disait un guide au passage. Prenez ça, c’est moins lourd!

Il leur offrait des torches. Les mains avides se tendirent.

— Non, pas tous! protesta le guide. Une torche pour vingt oms.

À la lueur dansante des flambeaux, ils s’aperçurent qu’ils n’étaient plus très nombreux, à peine quelques centaines. On leur expliqua que des groupes semblables avaient pris des chemins différents pour accéder à la ville.

— Il existe plusieurs passages. Cela évite les embouteillages et les accidents. Assez de questions, oms! Continuons par ici.

Ils s’engagèrent à la queue leu leu dans un couloir aux parois régulières qui, de toute évidence, avaient été taillées par les oms. Puis ils retrouvèrent un sol irrégulier sous leurs pieds et s’avancèrent dans un pays fantastique.

C’était une immense forêt. Des stalagmites bariolées par le reflet des torches montaient droit vers les voûtes perdues dans l’ombre. Comme des troncs d’arbres finement sculptés, d’élégantes colonnes étincelaient à l’infini.

— Tenez haut les torches, dit le guide. Et ne baissez pas la tête. Nous avançons jusqu’à la taille dans une mare de gaz irrespirables. Courage! Encore une heure de marche et vous verrez la ville, ses lumières, ses maisons…

— Ses matelas! cria quelqu’un.

Épuisés, les oms eurent le courage de rire.

5

Le char de l’Édile fonçait dans un couloir réservé aux chefs.

Il se perdit à toute vitesse dans un dédale d’abîmes et d’arcades et atteignit la ville en une demi-heure.

Ce furent d’abord des avenues nivelées par de fréquents passages et jalonnées de lumières électriques. Puis d’immenses cirques aux parois truffées d’orifices et de rampes d’accès, puis d’innombrables ponts métalliques jetés sur des torrents aux rives disciplinées par le plastobéton, et dans lesquels on voyait tourner des roues à aubes.

Plus loin, des masses d’ouvriers hissaient des poutrelles, manœuvraient des treuils, installaient des réseaux de fils conducteurs, scellaient des garde-fous le long des précipices, travaillaient avec une ardeur décuplée par le sens de l’intérêt collectif.

Le char freina sur une pente raide, vira sur la droite et stoppa devant un porche gardé par deux sentinelles.

L’Édile sauta sur le sol, fit un geste d’amitié au pilote du char et s’approcha d’un factionnaire.

— Bonheur sur vous, Édile, dit l’om.

— Annonce-moi au Conseil, dit Terr. Séance d’urgence.

Il s’engouffra dans le bâtiment tandis que l’om se penchait sur une téléboîte.

Une dizaine d’oms siégeaient autour d’une table ronde. L’Édile parlait.

— Que cette sphère soit passée là par hasard ou nous ait délibérément cherchés ne change rien au résultat: les draags savent que le continent est peuplé de milliers d’oms. Ils savent que nous avons des chars, et comme il est impensable que nous ayons passé l’océan à la nage ou sur des bateaux primitifs, ils savent que nous sommes capables de construire des bâtiments. Sans se tromper, ils vont nous croire à la longue capables de tout. Même de les vaincre. Si j’étais un Édile draag, je voterais pour une destruction immédiate et totale des oms!

Charb coupa:

— En mettant les choses au pire, nous avons toute la nuit devant nous pour échafauder un plan de défense.

— Quel plan de défense? ironisa Terr. Qu’avons-nous à notre disposition? Quelques chars équipés de lance-rayons mous, un peu de courant électrique et nos poitrines nues! Cela me paraît très insuffisant contre des fusées à rayons durs.

Vaill émit un espoir:

— Ils ne connaissent pas la situation exacte de la ville.

Terr bondit:

— Non, dit-il, non et non! Dis ça à la foule pour la rassurer, Vaill, mais pas à moi! Pas au Conseil! Ils ont repéré la direction de la colonne. Ils savent que nous affectionnons les souterrains. Ils connaissent la géologie du continent. Bref, ils savent où nous sommes!

— Alors, je ne vois qu’un moyen, dit un maître-bord, c’est de reprendre la mer, d’essayer d’atteindre l’autre Continent Sauvage.

— Avec un seul bâtiment! Ne dites pas de bêtises!

— Nous disperser provisoirement et fonder une ville ailleurs, suggéra Charb.

Un silence pénible régna. Demander aux oms tous ces nouveaux efforts paraissait impossible. Et de toute façon, il faudrait encore quinze jours pour agir de la sorte.

— Fonder plusieurs petites villes au fur et à mesure du démontage de celle-ci. Et quand celle-ci sera attaquée, tant pis pour elle et pour ses habitants. Ils seront sacrifiés pour que vive la race.

— Non, dit Terr. Nous vivrons ou nous mourrons tous ensemble. C’est assez des pauvres compagnons que nous avons laissés chez les draags. Pas deux fois! Et puis, la vie des autres serait précaire, perpétuellement menacée. Les draags passeraient le continent au crible, vous pensez bien!

— Alors?

Terr se leva et marcha de long en large, en envoyant des coups de pied dans les murs de temps en temps. Soudain, il se frappa le front.

— Le télébarrage! rugit-il.

Après un moment de surprise, Vaill donna un coup de poing sur la table.

— C’est vrai!

— Où sont les éléments de télébarrage que nous avons récupérés autour du vieux port?

— Sous-maître, dit un maître-bord, où sont les listes?

Un om jeune se leva.

— Je vais les chercher, dit-il.

Quelques minutes plus tard, il était de retour. Il posa de lourds registres devant l’Édile.

Celui-ci les ouvrit de ses doigts nerveux.

— Voyons… Sucre, suif, tachymètre… Tamis…

Il leva la tête:

— Tamis? Qui a eu l’idée saugrenue de charger les bâtiments avec des trucs pareils?

— Non, Édile, protesta un maître-bord. Ce sont des tamiseurs de rayons!

Terr chercha plus loin.

— Tarières… Télébarrage! Les éléments sont au nombre de cent cinquante. Cinquante ont été perdus avec le bâtiment 3. Les cent autres sont répartis, comme suit: cinquante dans la ville, salle 7, réserve B, cinquante dans le navire resté à la base de débarquement (soute 2).

Il déplia une carte du Continent Sauvage en disant:

— On voit que les draags sont riches, ils n’ont pas fait les choses à moitié. Cent cinquante éléments pour cerner un petit port! Il y aurait de quoi protéger tout le continent.

— Nous pouvons faire cet émetteur! dit Charb avec enthousiasme.

— Et le courant?

— Le plan d’équipement électrique prévoit une puissance totale de 50 000 unités. En remplaçant, lors d’une attaque, toutes les lampes et tous les appareils par de simples torches ou de simples feux, en consacrant tout le courant disponible à l’émetteur…

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