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Brave le regarda comme s’il avait affaire à un imbécile total.

— Tu ne vois pas qu’elles sont déjà rangées?

— Oh! non, dit Terr; tu as mis des boîtes d’aliments avec des boîtes de médicaments. Il y a même là une boîte de poudre pour soigner des membranes de draags.

Brave resta un moment silencieux.

— Toutes ces boîtes ont la même forme, dit-il enfin. Comment devines-tu ce qu’il y a dedans?

— C’est marqué dessus… Là, ces petits signes, c’est fait pour lire.

Brave se peigna la barbe d’un geste qui lui était familier. Il murmura:

— Alors, lire, ça veut dire deviner ce qu’il y a dans les boîtes avec les signes qui sont là? J’avais jamais bien compris ce que ça voulait dire: lire… Eh bien, si c’est comme ça, fais à ton idée. Ça nous évitera de passer des heures d’efforts à ouvrir des boîtes qui ne servent à rien.

— Bon!

Avant de sortir, Brave hésita:

— Dis-moi, petit… C’est avec les écouteurs d’instruction qu’on apprend à lire?

— Bien sûr.

Brave s’en alla en se grattant la tête.

6

Au bout de quelques jours, Terr fut parfaitement rompu à toutes les gymnastiques exigées par sa nouvelle vie arboricole.

Il avait un peu grandi, et ses muscles étaient plus nets sous sa peau bronzée. De plus en plus souvent, Brave l’emmenait courir dans les jardins d’alentour, lui enseignait à se cacher, à ramper sans être vu des draags, à voler des fruits et des légumes plus gros que lui.

Un jour, il lui donna un collier destiné à travestir sa situation irrégulière et l’emmena jusqu’à la ville.

— N’oublie pas, lui dit-il, qu’il ne faut jamais montrer à un draag que tu sais parler. Cela te permettra, entre autres choses, de pouvoir jouer les imbéciles si on te pose des questions sur tes maîtres ou sur les raisons pour lesquelles tu te trouves ici ou là. Pour le reste, j’t’ai appris assez de combines pour pouvoir t’en tirer tout seul.

Ils marchaient l’un derrière l’autre dans un fossé herbeux.

— Qu’allons-nous faire exactement? demanda Terr.

Brave eut un petit rire de plaisir anticipé.

— Je t’ai emmené parce que tu sais lire, dit-il. Nous allons voler. Tu liras ce qu’il y a dans les boîtes, comme ça je me donnerai pas de peine pour rien en volant des choses inutiles. Est-ce que tu sais nager?

— Oui, pourquoi?

— Tu verras bien. Maintenant, tais-toi. Nous allons continuer en silence.

Ils s’engagèrent dans un tuyau qui se perdait dans les profondeurs d’un mur de béton. Terr marchait à l’aise, mais devant lui, la grande silhouette de Brave était pliée en deux.

Ils bifurquèrent plusieurs fois dans l’ombre de plus en plus épaisse. Craignant de se perdre dans ce labyrinthe, Terr restait collé à son guide. Au bout d’un moment, ce dernier s’arrêta et lui dit à l’oreille:

— Maintenant, ça va monter. Tu grimperas facilement en t’aidant du dos et des genoux. Laisse-moi un tout petit peu d’avance pour ne pas me gêner.

Suant et soufflant, ils se hissèrent lentement dans un tube montant à la verticale. Bientôt, une lueur de jour se précisa au-dessus d’eux. Elle venait d’une petite grille obstruant l’entrée du conduit.

Les genoux et les reins bien calés contre les parois, Brave souleva doucement la grille et passa la tête au dehors. Rassuré par son observation, il émergea du tuyau et tendit la main à Terr pour l’aider à sortir.

Ils se trouvèrent dans une salle immense où des échafaudages métalliques soutenaient des machines qui ronronnaient tranquillement, sans aucune surveillance. Des roues géantes, des cames et des engrenages dansaient un ballet compliqué dans tous les angles de la salle.

L’attention de Terr fut attirée par des files de boîtes cylindriques avançant par saccades sur des glissières parallèles. Ces glissières se perdaient dans un tunnel obscur que Brave désigna du doigt.

— Il faut passer par là, dit-il en entraînant son jeune compagnon.

Ils grimpèrent par des croisillons métalliques et se hissèrent chacun sur une boîte. Secoué à chaque pulsation de la file, Terr se cramponna comme sur le toit d’un wagon en marche, tandis que Brave prenait de l’avance en sautant de boîte en boîte pour aller plus vite. Par orgueil, Terr se mit debout et le suivit aussi rapidement que possible, guidé dans l’ombre par de vagues reflets argentant les couvercles où il posait les pieds.

Ils parvinrent à une seconde salle où d’autres machines saisissaient les boîtes l’une après l’autre, les roulaient, les frappaient de divers caractères draags et les relâchaient dans un second tunnel.

Imitant son guide, Terr sauta à terre avant de se faire happer par les machines et courut au second tunnel.

La troisième salle était beaucoup plus grande que les autres. Le bruit y était supportable. Guidées par des glissières mobiles se décalant d’un cran par seconde, les boîtes s’empilaient le long des murs en colonnades bariolées.

— Voilà, dit Brave. Tu sais lire. Tu vas me dire quelles boîtes il faut prendre.

Terr lut des inscriptions qui ne lui apprirent pas grand-chose de bon. Il s’approcha d’une pile de boîtes et lut:

RECONSTITUANT MX

Extrait de foies de jeunes mammifères

associé à microéléments 1 et 2;

présenté sous forme de dragées.

— Celui-là est bon, affirma-t-il.

— Bien, dit Brave. Nous allons en voler dix boîtes. Terr regarda avec appréhension les boîtes aussi grandes que lui.

— Comment pourrons-nous emporter tout ça? dit-il. Ce n’est pas possible.

— J’vais t’expliquer. Viens près de cette fenêtre. Terr s’approcha docilement. Brave lui montra en contrebas un fort courant d’eaux sales recrachées par l’usine.

— Nous allons faire tomber les boîtes dans l’eau. Elles flotteront et seront poussées par le courant très loin d’ici. Je sais où. Il n’y aura plus qu’à aller les chercher avec les autres oms.

— Mais alors, s’exclama Terr, pourquoi seulement dix boîtes?

— Parce que ça se verrait! Ils se méfieraient et feraient surveiller l’usine. Nous ne pourrions plus revenir sans nous faire prendre. Tandis qu’avec dix boîtes de temps en temps, ils ne s’aperçoivent de rien; tu comprends? Allez, couche-les par terre une par une et roule-les jusqu’à moi, c’est pas difficile. Moi, j’vais les soulever pour les passer par-dessus le bord de la fenêtre.

Terr saisit une première boîte à pleins bras et tira de toutes ses forces, il réussit à la faire basculer et d’une poussée, l’envoya rouler près de Brave. Celui-ci se baissa, crispa les doigts sous la boîte et la remonta le long du mur avec un gémissement d’effort. Il la hissa sur le bord de la fenêtre et l’envoya dans le vide.

Pendant ce temps, Terr lui envoyait une deuxième boîte et se retournait déjà pour en saisir une autre lorsqu’il fut glacé sur place par la voix d’un draag.

— Je vous y prends, bande de voyous!

— Saute, s’exclama Brave, saute par la fenêtre!

Figé, Terr vit arriver sur lui l’immense stature du draag en colère. Alors que la main du géant s’inclinait vers le sol, le petit om bondit et courut à la fenêtre. Brave le saisit sous les aisselles et l’envoya dans la rigole qui coulait un demi-stade plus bas.

Terr plongea dans l’eau sale, refit surface et, entraîné à toute vitesse, tourna la tête pour voir Brave tomber à son tour. Il nagea de toutes ses forces dans le sens du courant, mais fut bientôt rattrapé par son compagnon.

— Je croyais qu’il allait te prendre, dit Terr.

— Il m’a pris, sourit Brave dans sa barbe humide, il m’a pris par les cheveux, mais je l’ai mordu et il a tout lâché.

7

À l’entrée du parc où nichaient les oms libres, on distinguait un rectangle de clarté dans la nuit.

Terr en fut intrigué. Brave eut beau lui démontrer que ce rectangle était un écriteau à l’usage des draags, et que les affaires des draags n’intéressaient pas les oms, le jeune garçon laissa son compagnon rentrer seul et alla prudemment rôder du côté de l’entrée normale des draags.

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